Aujourd'hui, j'avais un rendez-vous de travail dans une ville dont je ne gère pas très bien la cartographie. Alors j'ai décidé de faire aveuglément confiance à mon GPS. C'est bien la dernière fois!
Le lieu de rendez-vous était prévu Allée des Héros. On se sent tout de suite important dans ce genre d'allée. Des héros, nous sommes des héros n'est-ce pas, nous qui supportons au quotidien tout ce fatras coronapoliticoabsurde?
Le temps de ce trajet, j'ai eu la sensation étrange de revivre une année de folie en Belgique, le GPS m'ayant fait parcourir des coins insoupçonnés et des rues aux noms aussi poétiques que révélateurs de notre actualité. Soit dit en passant, le lieu de rendez-vous était situé à côté du château de la Follie. Je ne l'ai pas visité mais peut-être regorge-t-il des patients qui n'ont pas pu trouver refuge au sein des urgences psychiatriques à la suite du énième redéconfinement...
Je sens que vous avez l'impression que je perds un peu la tête, là. Il faut dire que la promenade bucolique a tourné à l'expédition. Je suis partie du Square de la Liberté, ensuite, j'ai continué rue de la Brasserie et rue Bel Air. Jusque-là, tout se déroulait pour le mieux. J'étais en terrain connu, respirant à pleins poumons. Ensuite, j'ai parcouru nonchalamment la rue de l'Enseignement, l'avenue de l'Indépendance, fenêtre ouverte, les cheveux au vent… Un sentiment mélangé de paix et de liberté… Aaaah la liberté… Et là, d'un coup, Chemin aux loups, tout s'est dégradé. D'un seul coup. La route était barrée, impossible de passer. Une déviation était indiquée. J'ai cependant à nouveau décidé de m'en tenir au nouvel itinéraire proposé par mon GPS. Mal m'en a pris! Après la rue du Tunnel, j'ai traversé la rue du Casino (sans casino cependant), mais je me suis retrouvée Impasse de la Tourette… J'ai dès lors effectué un demi tour assez périlleux étant donné l'étroitesse de la route et ai pris l'initiative de tourner à droite (alors que mon intuition me disait de tourner à gauche), vers la rue des 4 jalouses, le GPS ayant du mal à se recentrer. Je n'aurais pas dû… Je me suis enfoncée dans une suite de rues aux noms plus déprimants les uns que les autres; rue Tout-Vent, rue du Flou, rue du Pire, rue des Rivaux, rue de l'Europe, rue des Sept Douleurs, rue des Otages pour me retrouver face au Champ du Faux. J'aurais certainement dû écouter mon intuition, le GPS aurait repris ses esprits et m'aurait emmené vers, je ne sais pas moi, la rue de l'Entente par exemple, ou la rue Belle Tête ou encore celle de l'Avenir, tout près de la Place de la Victoire… Mais non, me voilà devant le Champ du Faux…
Là, j'ai craqué, je suis sortie de ma voiture, complètement désemparée, ne sachant plus dans quelle direction aller ou à qui me fier… Je me suis assise et j'ai pleuré. Tout s'est mélangé dans ma tête. C'était l'expédition de trop dans tout cet amas d'informations contradictoires depuis des mois, entre ministres, experts, journalistes, dans tous ces 'on y va, on n'y va pas', 'on ouvre, on ferme', 'on bulle, on débulle', 'on déballe et puis on remballe', 'on se réunit, on ne se réunit plus', 'on décide, on ne décide plus', 'on monte les courbes, on descend les courbes', 'on vaccine avec ou sans vaccin, avec ou sans patient', 'coronavirus ou cancer, ça dépend des masques, ' on a peur, on fait peur', 'on accuse, on culpabilise, chacun son coupable, 'on se tait, on crie', 'on étouffe, on s'étouffe'... Ca oui, on s'étouffe…
Vraiment, je ne sais plus ou plutôt je dirais, je ne suis plus. Je ne suis plus toutes ces absurdités, ces incohérences ou oserais-je dire ces incompétences… Serais-je insensée? Ou folle?
Je suis là, au milieu de tout cela, un peu comme au milieu de nulle part et plus rien n'existe… Un grand nombre de professions semblent avoir disparu de la surface de la terre… Plus un mot, effacées… Pourquoi? Le silence est la seule réponse à cette question. Le silence plutôt que des mots sur lesquels nous pourrions rebondir. Non, le silence, juste le silence… Serait-il annonciateur du vide permanent? Je crois que je vais demander asile au château de la Follie.
Je nous poserai dès lors cette question: ne serait-ce pas à nous de décider quel chemin prendre en choisissant si la vie c'est juste ça ou si c'est bien plus que ça? Laisser la toute puissance au GPS ou pas? Le choix est là.
Et pour information, mon rendez-vous de travail a été annulé, le directeur du théâtre s'étant lui - même égaré dans la rue du Sans - Fond.
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