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Je vous demande pardon - B.Monnoye

Dernière mise à jour : 25 nov. 2018



Bruxelles, le 29 octobre 2016,


Monsieur,


Je vous écris pour vous demander pardon.

Monsieur, oui, vous, Monsieur.

Je vous ai rencontré ce matin, sur le marché et j'ai hésité à m'arrêter pour vous parler.

Je vous ai vu emballé par la musique émanant d'une échoppe, je vous ai vu dans ce sursaut de vie. Et puis. Et puis quelqu'un s'est moqué de vous, mon cœur s'est resserré mais je n'ai pas bougé. Je n'ai rien dit. Je me suis tue. Et vous aussi. Comme si de rien n'était, j'ai continué mon chemin. Mais vous étiez là, installé au fond de moi, je ne pouvais plus faire comme si vous n'existiez pas.

Au tournant d'une rue, je vous ai vu à nouveau, adossé à un mur. Le vide s'était installé dans vos yeux. Un fantôme se dissolvant dans ce mur.

Des fantômes, partout, perdus. Sans papiers. Sans dignité. Sans... Des rêveurs aux rêves envolés, volés, volés par des passeurs, volés par nos peurs.

La peur, cette peur. Cette peur de s'encombrer, cette peur de sombrer, cette peur de s'embarquer dans quelque chose qui nous dépasse, cette peur que vous preniez notre place.

J'ai honte monsieur. Honte de ne pas avoir bougé.

J'ai honte de moi. J'ai honte de nous. De vous laisser là, inerte, en proie à vos espoirs fourbus, foutus, à la folie.

Vous, les fantômes, vous n'êtes rien. Et si par malheur vous êtes noirs....

Nous, nous ne savons rien de vous mais nous avons un avis sur tout.

Ce pouvoir, toujours ce petit pouvoir...

Qui sommes-nous? Où est notre dignité? Qui est à la place de qui?

Il faut nous excuser, Monsieur ... notre jugement est dominé par la peur... Les medias nous entourent, nous pressent, nous oppressent. Notre conscience s'est endormie.

Vous êtes si nombreux, partout, cachés, désespérés, inertes.

Vous n'êtes pas le premier, Monsieur, et certainement pas le dernier.

Peut-être demain, je serai à votre place tel un fantôme cherchant son identité, une terre d'asile, un moment de répit.

Alors, aujourd'hui, je vous demande pardon, Monsieur, et je veux croire en notre humanité.


Bénédicte Monnoye

Crédit photographique: Emilie Sweerts

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Crédit photographique: Jeannine Saintes
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